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AVORTEMENT CLANDESTIN

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Dans le secret des officines de la mort

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La tentation de l’avortement provoqué a un coût : le contrat d’interruption de grossesse est scellé, sous le sceau de la clandestinité, avec des prestataires de santé. D’autres femmes et filles, au portefeuille mal garni, ont recours à la « science » grosse de périls de personnes non qualifiées. Celles-ci ont la délicate mission de freiner la loi de la nature. Autour des périls de l’Interruption volontaire de grossesse (Ivg), s’est pourtant développé un business. Aujourd’hui, à la faveur du détournement de médicaments, l’avortement devient accessible à presque toutes les couches sociales. Côté santé, la pilule est parfois difficile à avaler.
Un infirmier de l’hôpital général de Grand-Yoff pratiquant nuitamment une interruption volontaire de grossesse dans l’enceinte dudit établissement a été arrêté par les agents du poste de police de Grand-Yoff informés par une tierce personne sous le couvert de l’anonymat. Guettant la sortie du couple au portail, les policiers les ont appréhendés avant d’inviter l’infirmier A. D. à retourner sur ses pas pour leur montrer la salle où il effectuait l’avortement. Ce dernier a refusé de coopérer. Mais, dans son sac, les policiers ont trouvé un sirop Ranferon 12 et une plaquette d’Antadys de 15 comprimés. Trois unités étaient déjà utilisées.
Un autre cas d’Ivg suivi de mort a été enregistré également à Pikine. Il s’agit de Nd. D, une femme mariée et mère de trois enfants décédée suite à une hémorragie. Le major d’un laboratoire très connu de la place lui avait injecté deux ampoules de Syntocinon 5UI/1ml. Prescrit dans le cadre d’une insuffisance des contractions utérines, ce médicament peut également interrompre une grossesse. Ces faits remontent au 14 janvier 2013. Un brigadier à la retraite s’est présenté au poste de police d’Ainoumane 3 pour alerter les agents sur la mort suspecte de sa belle-sœur dans la chambre de son concubin. Les enquêteurs ont constaté que la dépouille est recouverte de sang. La poursuite des constatations par la police scientifique et technique a montré que la victime présentait des saignements au niveau de ses parties intimes et anales.
Le business de l’avortement autrement
« Madame, le sujet que vous abordez est grave. Nous n’entendons en parler qu’à la radio », dit ce vendeur, qui tient une table sur laquelle sont exposés des baumes et des insecticides. Il arrache un sourire aux témoins de la scène. A Keur Serigne-Bi, temple de l’informel, situé sur l’Avenue Blaise Diagne, au cœur de Dakar, le quotidien des vendeurs et rabatteurs déroule sa pellicule sans discontinuité : deux messieurs en boubou apostrophent des personnes, s’assoient avec elles sur un banc avant de les laisser accéder au sein du bâtiment ocre où certains font leurs ablutions pour la prière de quatorze heures. Dans ce magma d’habitués et de visiteurs enfiévrés, il aura fallu prononcer le mot « avortement provoqué » pour que le vacarme se dissipe. Ici, les vendeurs feignent de rien connaître de ces méthodes abortives. Le silence est la règle.
Maintenant, ce sont les yeux qui parlent. Un monsieur, qui fait mine de lire son journal, rompt son silence et dit, dans un style débonnaire : « Madame, pour ne pas être trop long, ici, tous les médicaments sont disponibles. Tout dépend de ce que veut le client. Seulement, il faut savoir que ‘Loxoy kadior nahoul ken’ (formule qui vise l’échange de bons procédés, plus précisément en espèces sonnantes et trébuchantes). D’abord, offre-nous à boire car il fait chaud ! »
Dans cette officine géante couverte des vrombissements de moteurs, du bavardage des passants et des hélées des rabatteurs, le commerce illicite de médicaments fait recette. Les grossesses non voulues constituent la rente pour les faiseurs de miracles de toutes sortes. Le commerce de l’Ivg prospère à cause de l’usage détourné de certains médicaments comme « Artotec » et « Misoclear ».
Ainsi, l’avortement devient accessible à presque toutes les couches sociales. A Keur Serigne-Bi, bat le pouls de cette société qui refuse de garder le futur enfant d’une relation coupable, du libertinage ou, tout simplement, de l’envie de ne pas faire d’enfant en un moment précis. Comme un grand secret, les substances sont jalousement gardées dans un coin inconnu des non-initiés. Lorsque se brise la glace et que l’espoir de dénicher une cliente les habite, les vendeurs sortent les médicaments des sachets.
Ils ont des codes avec la clientèle, comme dans une société fermée. « Nous sommes dans l’informel. C’est pourquoi nous ne faisons confiance à personne », dit S. Ndiaye, vendeur. L’omerta est inhérente à cette activité délictuelle. Pour cette dernière raison et pour la morale, notre interlocuteur nous signale que personne n’avouera son statut de vendeur de médicaments qui permettent d’interrompre une grossesse. Pis, c’est un voile sombre qui couvre la fiabilité des substances vendues. Une situation qu’un de nos interlocuteurs met en lumière. « En vérité, il n’existe pas, à ma connaissance, des médicaments consacrés uniquement à ça (l’interruption de grossesse, ndr). Tous les médicaments qui soignent l’ulcère sont capables de provoquer un avortement. C’est un médecin qui me l’a avoué », explique B. Sy, son voisin.
De son « officine » informelle, S. Ndiaye a un instrument de mesure de la banalisation de cette pratique. Tous les quinze jours, au moins, ses collègues et lui reçoivent une femme ou une fille qui veut se débarrasser de sa grossesse. « Nous nous approvisionnons auprès des Institutions de prévoyance maladie (Ipm). « Les médicaments abortifs que nous vendons sont l’Artotoc et le Cytotec. Le dernier est plus efficace mais rare. Nous nous approvisionnons auprès des Instituts de prévoyance maladie (Ipm). Par le biais du « marché noir », certains de leurs agents nous les vendent par comprimés. Les 26 comprimés d’Artotec nous reviennent à 18.000 FCfa et les 30 comprimés à 36.000 FCfa.
Nous les revendons selon les moyens des clientes. A celles qui n’ont pas beaucoup d’argent, nous revendons les cinq comprimés à 10.000 FCfa. Si la grossesse n’est pas vieille de quatre semaines, trois comprimés suffiront pour y mettre un terme. Au-delà, il faut il faut cinq ou dix », révèle-t-il. Un autre vendeur au même endroit, sous couvert de l’anonymat, nous révèle que ces médicaments sont vendus fréquemment. « Si nous les achetons pour les vendre tous les quinze jours, mieux vaut aller faire autre chose.
Ce sont les ignorantes qui vont vous dire l’usage pour lequel elles les achètent. Pour la plupart, c’est des hommes qui viennent s’en procurer. Bien évidemment qu’ils sont envoyés par des femmes. Au cas contraire, ils les achèteraient dans les pharmacies où ils leur reviennent moins chers », révèle-t-il.
A la pharmacie Boulevard de la Médina, le paquet d’Artoctec 50 mg/0,2 mg, c'est-à-dire 50 mg de Diclofénac plus 0,2 mg de Misoprostol est vendu à 6.785 FCfa et celui qui contient 75 mg de Diclofénac et 0,2 mg de Misoprostol à 5.161 FCfa. Ces produits sont classés dans la liste 1, c'est-à-dire les médicaments dangereux et qui peuvent tuer. Ils ne doivent être vendus que sur prescription. « Ceux qui désirent l’avoir sans l’avis d’un médecin, vont se les procurer à Keur Serigne-Bi ou autre part car dans les pharmacies où il y a la rigueur, ils ne l’ont pas », explique Dr Assane Diop, propriétaire de la pharmacie Boulevard.
Le cocktail de la mort
L’Artotec est un anti-inflammatoire indiqué pour le traitement des douleurs de certains rhumatismes chez les personnes âgées. Il peut contenir jusqu’à 0,2 mg de Misoprostol. Quant au Misoclear, c’est du Misoprostol en grande quantité qui offre un traitement pour de nombreuses indications : hémorragie du post-partum (Hpp), Prise en charge médicale d’un avortement incomplet et d'une fausse couche, avortement médicamenteux précoce. Ce que l’on cherche dans ce médicament pour faire ou se faire avorter est le Misoprostol.
Selon le Dr Assane Diop, pharmacien, on peut en avoir jusqu’à 200 mg pour interrompre une grossesse. Le Misoprostol (PGE1) est un médicament traitant les ulcères gastriques, non autorisé dans de nombreux pays pour son utilisation dans l'interruption de grossesse, du fait aussi de sa large disponibilité et de la simplicité de son mode d'administration.
Sa stabilité à température ambiante favorise son utilisation dans les milieux défavorisés. Ce médicament a été introduit dans la maternité pour interrompre une grossesse au deuxième ou au troisième trimestre pour cause d'anomalie fœtale ou de mort fœtale dans l’utérus.
Toutefois, une préoccupation inhérente à son utilisation durant la grossesse est l'hyperstimulation utérine. Dans les cas extrêmes, il provoque la rupture utérine, l’hémorragie, l'analgésie (suppression de la sensibilité, la morbidité maternelle sévère y compris.
Le danger guette
L’illégalité de cette activité est manifeste. Selon le directeur adjoint de l’Ordre des médecins du Sénégal (Oms), Joseph Gomis, cette pratique consistant à interrompre clandestinement une grossesse est un exercice illégal de la médecine. Ce délit est puni par la Loi n° 66-69 du 4 juillet 1966 relative à l’exercice de la médecine et à l’Ordre des médecins en son article 5 dans lequel il est clairement écrit : « L’exercice illégal de la profession de médecin est puni d’une amende de 20.000 à 100.000 francs et d’un emprisonnement de six mois à un an. En cas de récidive, les peines seront doublées. Pourra enfin être prononcée la confiscation du matériel ayant permis l’exercice illégal ».
Le praticien est au courant des pratiques en cours dans son champ de compétence. « En tant que médecin, je sais que certaines cliniques pratiquent l’Ivg. Mais, quand il s’agit de l’Ordre, vous posez un problème d’institution. Pour poursuivre quelqu’un d’exercice illégal de la médecine, il faut avoir des preuves. En droit, il ne suffit pas de dire les choses, mais il faut les démontrer. En plus, on n’a pas le droit de débarquer quelque part pour voir si tel monsieur fait l’exercice illégal de la médecine ou pas. Sinon, le procureur va nous rappeler à l’ordre. Il est la seule personne habilitée à le faire », explique M. Gomis. Toutefois, notre interlocuteur précise que les praticiens de la médecine peuvent agir dans le cas d’une dénonciation verbale ou écrite. De ce fait, on va saisir le procureur qui va se charger de vérifier la véracité des accusations.
L’Ivg au fil des années
En 2011, l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) avait estimé le nombre d’Ivg à 3.6 % pour la région de Dakar.
Selon une étude menée par le Guttmacher Institute américain et le Centre sénégalais de recherche pour le développement humain en 2014, 51.500 avortements sont pratiqués au Sénégal chaque année, soit un taux de 17 avortements pour 1.000 femmes en âge de procréer. Le taux de prévalence est largement plus élevé dans la capitale à Dakar. Il tourne autour de 23,5 pour 1.000 femmes contre 14,1 pour 1.000 dans le reste du pays.
Ces chiffres montrent une nette baisse de la pratique de l’Ivg. Mais, ces études sont l’arbre qui cache la forêt. Aujourd’hui, les femmes n’ont pas besoin de l’intervention d’un gynécologue ou d’une sage-femme pour se débarrasser d’une grossesse.
L’avortement à un clic
Aujourd’hui, le développement des technologies de l’information et de la communication (Tic) révolutionne l’Ivg dans les pays où elle est interdite. Avec les sites tels que doctissimo.fr, gracia.fr, womannonwaves.org, entre autres, les femmes ou les filles n’ont plus besoin de consulter des agents de la santé pour se faire avorter. Toutes indications pour provoquer un avortement soi-même y sont disponibles. Par exemple, dans un des sites ci-dessus, une personne conseille aux dames d’utiliser le Cytotec pour mettre un terme à leur grossesse avec le minimum de risques. Ce médicament est difficile à obtenir au Sénégal car il a été retiré du marché à cause de son usage détourné. Aujourd’hui, il est remplacé par le Misoclear qui produit les mêmes effets concernant l’avortement. Le Syndicat des pharmaciens du Sénégal avait demandé aux autorités compétentes à ce qu’on efface parmi les indications interruption volontaire de grossesse. « Nous qui sommes du syndicat des pharmaciens du Sénégal, avons demandé qu’on enlève parmi ses indications Ivg. Mais, nous n’avons pas eu gain de cause », avoue Dr Assane Diop, un des membres.
De graves complications
Marie Fall Yade est la maîtresse sage-femme du Centre hospitalier national de Pikine. Dans son bureau qui donne sur la salle d’accouchement, elle interprète les examens échographiques des femmes en travail. Selon elle, les cas d’Ivg ne sont décelés que s’il y a des complications.
Au cas contraire, les femmes viennent dans cet établissement sous le tableau d’un avortement spontané car elles ont juste des saignements comme dans un avortement normal. « Les femmes sont plus averties maintenant. Elles achètent les médicaments dont les effets secondaires peuvent interrompre une grossesse. Aux deux premiers mois, le danger n’est pas permanent car le fœtus n’est que de l’eau », Mais, poursuit-elle, au-delà de cet intervalle, elles peuvent s’exposer à une hémorragie et, plus grave encore, à une septicémie (infection généralisée) qui conduit directement à la mort car l’avortement a été incomplet et l’utérus a retenu les débris ovulaires. L’effet excessif de ces comprimés peut causer une perforationmenant jusqu’à l’hystérectomie (ablation de l’utérus) et, par conséquent, à la stérilité.
Des amours pour les méthodes de contraception : Petite cause à grand effet
DesamourLe niveau de connaissance des techniques de contraception moderne est important. Mais, le recours à la pratique contraceptive demeure toujours faible. La dernière étude de l’Eds révèle une prévalence contraceptive plus importante chez les femmes âgées de 35-44 ans avec plus de 20%. Selon Khady Sy Diop, chargée de la Planification familiale à l’hôpital de Pikine, certains hommes ne mettent pas toujours les préservatifs car ils considèrent que ça interrompt les rapports sexuels et réduit les sensations.
Ce même avis est partagé par ces deux élèves trouvés devant la porte des logements des étudiants étrangers de l’Ipg (Institut privé de gestion) situé à Sacré-Cœur 3. « Le latex (matière avec laquelle le préservatif est créé, ndr) empêche le sexe de la femme de stimuler celui de l’homme », estime Bryan Fara Ricardo Mendy.
Pour corriger cette perception des méthodes de contraception, l’Association sénégalaise pour le bien-être de la famille (Asbef), à travers le mouvement Actions des jeunes, élabore et déroule dans les écoles et les quartiers, des programmes de sensibilisation des jeunes sur les maladies sexuellement transmissibles mais aussi sur les grossesses précoces.
« Durant les stratégies avancées, nous distribuons des préservatifs aux jeunes. Nos cibles sont âgées de dix à vingt-quatre ans. Mais, nous nous heurtons à quelques difficultés. Au lycée John Fitzgerald Kennedy, le censeur a appelé la sécurité pour nous mettre dehors.
Il a même menacé de porter plainte contre nous. Dans les écoles, le personnel administratif refuse qu’on distribue des préservatifs aux élèves », se désole le chargé du programme des jeunes dans cette structure. (Certaines informations sont extraites de la Grande enquête des fins d’études au Cesti du même auteur).
Marame Coumba SECK/Lesoleil
http://lesoleil.sn/grand-air/item/52383-avortement-clandestin-dans-le-secret-des-officines-de-la-mort.html#sthash.OnTYdw7u.dpuf


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