L’AGRICULTURE, UNE ALTERNATIVE POUR FIXER LES JEUNES
Le drame méditerranéen de l’émigration a réveillé de vieux souvenirs et soulevé des vagues d’indignation chez les premiers rapatriés d’Espagne, il y a une dizaine d’années (en 2005, époque de Baça wala Barsax*). Dix associations partenaires des régions de Thiès, Diourbel, Dakar et Fatick se sont retrouvées à Mbour autour du président de l’Association nationale des partenaires migrants (Anpm). Histoire de faire le point sur les promesses du régime d’alors pour décourager les jeunes de braver les flots marins à destination de Barça ou Barsax, d’une part et faire un état des lieux tout en proposant des alternatives de survie (par elles-mêmes), d’autre part.
Le drame des «naufragés» de la Méditerranée avec des centaines voire milliers de morts dont des Sénégalais, doit pousser à parler et à surmédiatiser le phénomène de l’immigration non conventionnelle. C’est la conviction de Cheikh Diop, le président de l’Association nationale des partenaires migrants (Anpm) du Sénégal (qui regroupe des Sénégalais rapatriés notamment d’Espagne). Selon le président de l’Anpm, en 2007, suite à l’accord entre l’Etat du Sénégal et le royaume d’Espagne, les autorités étatiques avaient promis monts et merveilles aux Sénégalais rapatriés. Mais à l’arrivée, exceptés les quelques personnes qui ont eu la chance d’intégrer des fermes agricoles créées alors pour faciliter leur insertion, le gros de la «troupe», des rapatriés d’Espagne se considèrent aujourd’hui comme «des oubliés et laisser à eux-mêmes». «Oubliés par le régime précédent, nous sommes laissés pour compte de nos jours», déplore-t-il.
Des initiatives vouées à l’échec
Embouchant la même trompète, Moustapha Fall, le secrétaire général de l’Association nationale des partenaires migrants du Sénégal a révélé qu’au début, il y a eu des initiatives, mais qui ont toutes échouées. A l’en croire, dans un premier temps, des «rapatriés» originaires de la petite côte regroupés en Gie (groupement d’intérêt économique) des migrants de Mbour avait reçu un financement de 25.000 euros et un second de 20.000 euros d’un partenaire français (Ccfd), il y a huit ans.
Le Ccfd, une organisation non gouvernementale française luttant contre la faim reste leur principal bailleur. Grâce à ces appuis le Gie des rapatriés de Mbour avait à l’époque acheté des filets de pêche (senne tournante), des pirogues et des moteurs hors bord pour mener des activités de pêche. Aussi a-t-il loué d’autres actions notamment un financement modeste de 900.000 F Cfa remis aux jeunes de Kayar (pour 150 personnes). Ce geste pourtant apprécié est vu comme une goutte d’eau dans l’océan.
Toutefois, à Joal-Fadiouth la situation des rapatriés d’Espagne est toute autre. Selon Moustapha Fall, ici, les financements accordés à des membres du Gie sont remboursés. Ce qui permet d’en faire profiter à d’autres, de manière tournante. La diversité des créneaux empruntés s’élargit. Le Gie de Joal-Fadiouth s’est investi dans la formation en gestion de projet pour permettre à ses membres de mieux travailler collégialement.
Seulement, il se désole de ne pouvoir remplir les conditions exigées lors des appels d’offres dans le cadre des campagnes et programmes sur les questions relatives à la prise en charges des jeunes pour les empêcher d’aller à l’aventure par le désert ou par la mer. A son avis, seules certaines grandes organisations non gouvernementales remplissent les critères requis. Ce qui fait que les financements ne sont captés que par ces structures qui ne connaissent rien des métiers de la mer, donc elles ne peuvent pas fixer ces jeunes pêcheurs dans leurs terroirs.
Les limites du Fonds Espagne de la Cedeao
En atteste, selon Cheikh Diop, le processus enclenché au niveau régional. Là, le manque d’organisation n’a pas permis à certaines associations de s’impliquer. Aussi, des Ong ont été retenues il y a quelques années pour la mise en œuvre du Fonds Espagne de la Cedeao suite à un appel à projet. Elles ont certes exécuté des activités, mais celles-là ne correspondaient pas aux préoccupations de beaucoup de migrants et de rapatriés d’Espagne. Suffisant pour que le président de l’Anpm en appelle à une bonne organisation avec des projets fiables et bancables avant de solliciter la direction de certains programmes ou leur mise en œuvre au niveau Ouest africain.
Pour Moustapha Fall, les jeunes rapatriés portent un très espoir en l’agriculture. «C’est le seul projet rentable pouvant occuper des milliers de jeunes pour leur insertion». Pour cela, il faut rendre accessible l’eau en aménageant des forages pour alimenter des fermes agricoles et équiper les jeunes tout en leur octroyant des financements avec des facilités pour une absorption maximale (des financements proposés).
Un sandwich plus 10.000 F Cfa pour chaque rapatrié
Moustapha Diouf, le président des rapatriés de Thiaroye-sur-mer (Dakar) partage le même avis. Pour lui, si les premiers financements ont été profitables pour certains groupements mais le gros lot des rapatriés d’Espagne n’avaient reçu qu’un «sandwich et 10.000 F Cfa». Il souligne que rester (au Sénégal) dans ces conditions (alors qu’on a beaucoup investi pour partir), est un véritable sacrifice. A l’endroit de ceux qui s’apitoient simplement sur le sort des naufragés de la Méditerranée qui perdent la vie pour rejoindre l’Europe, Moustapha Diouf indique que «le mal est plus profond. Des passeurs et les itinéraires empruntés à travers le désert du Sahara à partir du Mali et du Niger pour rejoindre la Lybie sont connus de tous. Tous les dangers sont connus ainsi que les risques, mais pour eux la détermination à trouver des lendemains meilleurs restent irrésistible» chez-eux.
Les solutions, déclare-t-il, c’est le renforcement de la formation des jeunes et la mise à disponibilité de financements pour la réalisation de projets pouvant fixer les jeunes tentés par l’immigration non conventionnelle. L’autre axe de son intervention concerne directement l’Etat à qui il demande une implication effective à la base en renforçant la sensibilisation pour couper les racines du mal. Abandonner «les routes ou les circuits vers la mort», pour lui, nécessite l’implication de tous et particulièrement de l’Etat.
«Baça wala Barsax»: termes Wolof utilisés en 2005 par les migrants clandestins sénégalais en partance pour l’Espagne et traduisant «Barcelone ou l’au-delà (la mort)».
Samba Niébé BA/Sudonline