Étrangers à domicile
Il y a un an, jour pour jour, je me rendais à un organe de presse, alors stagiaire dans ce groupe médiatique de service public, j’ai failli me faire tabasser par deux caïds, qui ne supportaient pas que j’échange avec une receveuse dans un bus Tata, sur la réception ou non d’un billet de deux mille francs CFA.
Quand je suis monté à bord du bus, j’ai tendu le billet, je n’avais de jetons par devers moi. Elle m’a répondu qu’elle n’avait pas de monnaie, alors qu’elle tenait dans ses doigts, des billets de mille et de cinq cent francs. Je lui ai fait la remarque qu’elle en disposait. Elle m’a alors rétorqué, les yeux dans les yeux, qu’elle « ne prenait pas » de billet de deux mille francs.
J’allais me tourner vers les passagers pour demander de la monnaie quand un homme m’a lancé que les billets de 2000 étaient interdits dans les bus. « Depuis quand et avec quelle loi », lui-ai-je répondu. C’est interdit, me balança-t-il avec mépris. « Ils ne l’acceptent pas », intervint un autre derrière moi. Ma solution était hypothéquée d’avance. Je me suis retourné vers la fille qui me tint la même réponse. On discutait tranquillement quand le premier homme me jeta que je ne devais pas insister.
Quand je lui ai enfin répondu qu’aucune mesure officielle n’interdisait la circulation de billets de banque de 2000f dans les bus, il s’est emporté, me crachant sur le visage que j’emmerdais les gens, je n’avais qu’à descendre. L’offense m’obligea de lui répondre qu’il devait aussi se tenir à l’écart parce qu’il n’avait pas de solution et que son propos ne faisait qu’envenimer la situation. Il a proféré des injures en Wolof, s’est levé et s’est dirigé vers moi, trahi par mon accoutrement à la Haoussa.
Il était dans tous ses états et était décidé à me faire la fête. Des passagers intervinrent et le maitrisaient. Quelqu’un avait sorti une pièce de cent francs, payé un ticket et me le tendait, comme je le fais souvent dans pareilles circonstances. L’homme continuait à débiter des injures en Wolof. Convaincu que j’étais non sénégalais, il se lança dans des attaques dignes de malsains d’esprits.
« Quand tu vas dans leurs pays, tu n’oses même pas respirer et ils te tombent dessus. J’ai fait pas mal de pays de la sous régions, ils sont mauvais, ils sont méchants. C’est ici qu’ils font le malin », expulsait-il en langue Wolof. Je le regardais victime de son égo nationaliste. Quand je me suis rappelé une phrase de mon professeur d’anglais en classe de 3ème, « plus on rencontre des gens, plus on devient tolérant », je me suis retenu. Il disait avoir voyagé mais il n’avait rien appris de ses déplacements. Je venais de la rencontrer, je savais qu’il y avait des gens aussi limité mentalement. Je pratiquais la leçon de mon prof.
Mais l’homme continuai à débiter des injures, maintenant maternelles. C’était le propos de trop, pour le Peulh que je suis. J’ai envoyé une salve d’injures et me dirigeais maintenant vers lui. Des gens se sont encore interposés. Un autre entra dans la danse avec un « tu nous emmerdes finalement ». Je n’en revenais pas.
Voyant la situation se dégrader, le chauffeur immobilisa le véhicule, me parla avec discipline et me demanda de m’assoir près de lui. Les deux hommes poursuivaient leurs diatribes contre moi, en Wolof, jusqu’à ma destination. Je n’ai plus répondu, déterminé à mériter la considération du conducteur.
Il y a trois ans, un adulte, d’un patronyme qui sonne malien ou guinéen aussi, était venu se plaindre auprès de moi, à propos d’un refus d’agents de police de le voir déposer une demande de pièce d’identification nationale. « Ils m’ont demandé de leur apporter un certificat de nationalité avant de déposer », me narrait-il. Je savais que cette pratique était décrié par certains sénégalais, supposé être non sénégalais, par leurs patronymes.
Je me sentais maintenant directement interpellé, encore que cet adulte n’était pas du même groupe ethnique que moi. Il n’y avait donc pas que les Peulhs nommés Diallo, Ba, Barry qui souffraient de cette mesure. Produire un Certificat de Nationalité avant une Carte Nationale d’Identité alors que c’est le contraire qui est possible. L’inquiétude m’obligea à interpeller, à ma première rencontre avec le commissaire urbain de Ziguinchor d’alors, sur le sujet.
Quelques trois jours après, M. Coulibaly revint m’informer qu’il avait pu déposer pour son document. J’en déduisais que soit, les agents avaient agi sans document de base (circulaire ou arrêté) qui les y autorise. Soit, secundo, l’interpellation avait porté ses fruits. Je n’en sais rien, mais c’est tant mieux. Mais je m’inquiète encore, avec cette même pratique qui persiste dans quelques localités du Sénégal. De la stigmatisation. Source de frustration sociale, de sentiment d’exclusion, de marginalisation, qui peuvent provoquer des ennuis sociaux futurs.
Car les Ndiaye, Diop, Sarr et autres patronymes ne sont pas soumis à cet « exercice nationaliste ». Pourtant on en trouve au Mali, en Mauritanie. Des Sall, Thiam, on en trouve aussi en République de Guinée. Constat. Des gens se sont toujours déplacés, se sont installés quelques part sur terre et ont eu des enfants qui portent leurs patronymes. Aucun patronyme ne peut sincèrement, aujourd’hui, collé à un pays, une nationalité.
Le concept d’IVOIRITE, qui a plongé la Côte d’Ivoire dans un conflit d’une décennie, a commencé par identifier « les citoyens » par leurs patronymes. Ça a conduit à ce que nous savons et que nous regrettons tous. Je prends ma plume pour interpeller la conscience nationale, administrative, pour nous éviter de verser dans l’ethnocentrisme ou le communautarisme. Rien ne justifie que certains Peulhs fassent l’objet d’un fantasme nationaliste et que d’autres enfants, dans le même pays, en sont épargnés, d’office.
Si Abdoulaye Wade a usé de pratiques de massification des sénégalais pour remporter les élections de 2007, au premier tour, je ne suis pas d’avis qu’il faille pour autant, cibler les Peulhs Fouta ou Peulhs d’origine guinéenne, qui en ont été les principaux bénéficiaires. Certains, comme moi, sont nés et ont grandi dans ce pays et ne se sentent pas dans l’obligation de montrer patte blanche pour disposer d’un document administratif au Sénégal.
Sinon on encourage une éventuelle confrontation résultante de deux ou trois Sénégal, avec des Diop, Ndiaye d’un côté, des Ba, des Diallo d’un autre et des Traoré, des Coulibaly ou Konaré d’un autre côté entre autres parties. Ça m’inquiète… La solution, à mon avis, c’est que les personnes qui délivrent les actes de naissances dans les mairies, adoptent une attitude citoyenne et mesurer la dimension de leurs actes quotidiens.
Enfin, plus comique mais assez sérieux pour moi, c’est le problème que certains sénégalais ont pour se loger au Sénégal. Pour la petite anecdote, je cherchais une chambre à Grand-Dakar, il y a deux ans. Un courtier m’a dit qu’il a une chambre à faire louer mais le propriétaire préfère les étudiants, non sénégalais de surcroît. Je tombais des nuées. Comment en est-on arrivé là ? Qu’un sénégalais, vivant au Sénégal, disposant d’une maison à louer, préfères plutôt les non nationaux que ses concitoyens.
Ça m’a si intrigué que je me remémore encore de ce matin. Je me suis senti étranger chez moi. « Etranger à domicile ». Dans un site internet sénégalais, j’ai trouvé un numéro de téléphone de quelqu’un qui offrait une chambre à louer. Après appel et fixation rendez-vous, l’homme me de demande 3000 FCFA pour son déplacement. C’était à prendre ou à laisser, encore que son téléphone ne cessait de sonner devant moi. Je me suis soumis à son dicta immobilier.
Une fois dans la dite chambre, il donne les conditions. « Cinquante mille francs par mois, une seule personne, célibataire, trois mois d’avance », pour une pièce de moins de quinze mètre carré. Là, c’est un non sénégalais qui gère une maison d’un sénégalais et qui fixe ses conditions. Visiblement, tout se passe sous nos nez, dans une indifférence totale des citoyens, des autorités municipales et étatiques. Nous sommes en train d’hypothéquer notre pays. Car mon cas peut avoir été vécu par des milliers d’autres concitoyens. Il est temps d’agir pour limiter les sénégalais qui pourraient se sentir « étrangers à domicile ».
Mamadou Lamine BA, citoyen sénégalais
Tel : 77 548 40 88 / 70 203 16 81 Email : ballamine@gmail.com